Louis B. Buchman, Avocat aux Barreaux de Paris et New York, et Eric Loquin, professeur agrégé des Facultés de Droit, doyen honoraire de la Faculté de droit de Dijon
Lorsqu’on a estimé opportun, en toute connaissance de cause, de négocier une clause d’arbitrage dans un contrat international, encore faut-il savoir comment se déroule la procédure et de quelle marge de manoeuvre les parties disposent. La liberté reconnue aux parties, notamment en ce qui concerne le choix des juges privés et des règles de la procédure, explique aussi le succès de l’arbitrage dans les relations commerciales internationales.
*Article paru au Moniteur du Commerce International, novembre 2008 (« Trois bonnes raisons », 2ème Partie).
Choisir ses juges
La liberté reconnue aux parties de choisir les arbitres est un avantage propre à l'arbitrage.
L'arbitrage étant d'abord une relation de confiance entre les parties et les arbitres, ils seront choisis en raison soit de leur compétence juridique ou technique, soit de leur appartenance au même milieu professionnel que les parties, soit de leur autorité morale, ces raisons pouvant se combiner entre elles.
Le plus souvent, ce sont des techniciens qui sont désignés par les parties, qui veulent avoir pour juges des « hommes de l'art », sachant apprécier les données techniques du litige sans recourir à des experts, ou parfois des personnalités issues de leur milieu professionnel.
Dans l'arbitrage international, le choix de l'arbitre est aussi déterminé par sa "neutralité" culturelle ou politique, et sa maîtrise des langues pratiquées par les parties.
Il est d’usage de désigner comme arbitre unique une personnalité d’une nationalité différente de celle des parties, ou, s’il s’agit d’un troisième arbitre, différente de celle des deux arbitres nommés chacun par une partie.
Certes, les parties peuvent convenir d'une clause attributive de compétence et même choisir la justice d'un état neutre pour échapper à la partialité, la vénalité ou l'incurie (réelle ou supposée) des juges de l’état d’où provient l’une des parties, mais un tel choix ne peut porter que sur la juridiction, non sur son personnel.
L’arbitrage permet donc un choix plus fin et mieux ciblé.
Enfin, si le fléau de la corruption ruine la justice rendue dans de nombreux Etats, dans les quatre continents, il ne semble pas que l’arbitrage international soit atteint par la corruption : l’importance de sa rémunération protège a priori l’arbitre de toute tentation, et le souci de protéger sa réputation dans le milieu étroit des arbitres du commerce international renforce encore la motivation de demeurer intègre.
Fixer le cadre du procès arbitral
L'absence de formalisme de l'instance arbitrale est propice au rapprochement des parties et à la dédramatisation du litige.
La présence d'arbitres désignés par les parties contribue aussi à créer un climat apaisant.
Si on reproche parfois à l'arbitrage de verser dans le consensus, il faut rappeler qu’il appartient aux parties de fixer le cadre du procès arbitral.
Elles peuvent en effet conférer aux arbitres des pouvoirs d'amiable compositeur, les autorisant à s'écarter du droit strict pour juger en équité, ou au contraire décider que le tribunal arbitral appliquera strictement la loi et choisir un droit applicable au contrat qui interdit au juge de le réviser.
Limiter le coût de l’arbitrage
Si le coût élevé de l’arbitrage n’est pas une fatalité, les parties ont leur mot à dire pour le limiter.
Les honoraires et frais des arbitres, à la différence du traitement d'un juge, doivent être payés par les parties.
Dans des arbitrages importants, il peut être, en outre, nécessaire de désigner un secrétaire ou un greffier pour administrer la procédure et de louer des locaux pour les réunions et audiences.
L'arbitrage organisé par les institutions d'arbitrage entraîne le paiement «de frais d'administration de l'arbitrage», destinés à rémunérer les services rendus par l'institution.
Dans les arbitrages ad hoc, les arbitres fixent en principe librement leurs honoraires, mais il faut savoir qu’ils peuvent être négociés entre parties et arbitres.
Dans l'arbitrage institutionnel, le règlement de l'institution désignée par les parties contient un barème permettant de calculer la rémunération des arbitres et le montant des frais d'arbitrage.
Le mode de calcul peut être un pourcentage du montant du litige ou une unité de base par heure de travail demandée par le dossier ou une combinaison des deux systèmes.
En principe, une provision est versée, par parts égales, par chacune des parties.
Le plus souvent, la totalité des frais et honoraires est payée avant que la sentence ne soit rendue.
Si l’arbitrage est cher, il se révèlera être une solution économique pour une partie ressortissante d’un pays de Common Law, dans lequel les procès sont bien plus coûteux que dans un pays de droit continental.
Même dans un pays de droit continental comme la France, l'arbitrage peut s’avérer meilleur marché que la justice étatique du fait de l'inutilité du recours à l'expertise lorsque les arbitres sont eux-mêmes experts, l'absence de formalisme de la procédure qui élude l'intervention d'auxiliaires de justice, et le plus souvent l’absence de double degré de juridiction.
Pas de double degré de juridiction
Le tribunal arbitral juge en premier et dernier ressort sauf si le règlement d’arbitrage applicable prévoit une possibilité d’appel (ce qui est de plus en plus rare).
Cela permet d’accélérer la procédure et de réduire les coûts, mais livre les parties à la merci d’une erreur de jugement.
La seule voie de recours ouverte contre une sentence arbitrale défavorable est alors le recours en annulation contre la sentence, qui permet de contrôler la légalité de la sentence, non son contenu
Il ne faut pas oublier, par ailleurs, que les arbitres peuvent répartir, de façon non égalitaire entre les parties, la charge finale du coût de l'arbitrage selon la solution donnée au litige : la partie victorieuse peut ainsi obtenir la condamnation de son adversaire à payer l’ensemble des frais occasionnés par l’arbitrage, honoraires des arbitres et avocats inclus.
Enfin, le recours à l’arbitrage «ad hoc» (non-institutionnel), comme le choix d’un arbitre unique et des règles de procédure simplifiées ou accélérées limiteront sensiblement le coût de l’arbitrage.
Accélérer la procédure
En moyenne, une procédure arbitrale sera rarement plus longue que la moyenne de la durée des procédures dans les pays où la justice est la plus rapide.
L’arbitrage peut même être plus rapide. Il ne faudrait pas toutefois laisser croire que l’arbitrage est une justice rapide par nature et dans tous les cas.
Les parties s’illusionnent en fixant, dans les clauses d’arbitrage, des délais de quelques mois, impossible à respecter. Ces délais pathologiquement courts sont toujours prorogés par accord des parties, ou par décision de l’institution chargée d’organiser l’arbitrage ou du juge d’appui chargé d’assister l’arbitrage.
Une fois l’arbitrage lancé, les parties sont d’ailleurs les premières à demander des délais pour présenter leurs demandes et défenses.
La garantie d'une bonne justice est au prix d'une durée minimum de l'instance permettant aux parties de préparer et d'échanger leurs arguments et aux arbitres d'en prendre connaissance et de délibérer dans la sérénité.
Les droits nationaux fixent en général, à défaut de convention des parties sur cette question, une durée légale de l'instance arbitrale.
La pratique montre que cette durée, souvent de six mois, est insuffisante et que des prorogations sont nécessaires.
Certains types d'arbitrage peuvent, en revanche, être conduits dans des délais très courts. Par exemple, les règlements d'arbitrage des institutions corporatives spécialisées dans l'organisation d’arbitrages portant sur des litiges relatifs à la qualité des marchandises fixent des délais de l'ordre de quelques semaines.
S’assurer de la mise en œuvre de la clause d’arbitrage
Une partie de mauvaise foi saisira tout prétexte et toute possibilité pour retarder l’issue de la procédure arbitrale ou paralyser la mise en œuvre de la clause d’arbitrage.
La situation peut être débloquée par l’intervention du juge d’appui de l’arbitrage.
La justice étatique se met ainsi au service de l’arbitrage, donnant à l’institution un « caractère mi privé, mi public » de justice.
Les parties ont en effet la liberté de désigner le siège de l’arbitrage, ce qui revient à choisir l’état dans lequel la sentence sera rendue.
Le juge de cet Etat peut donc être appelé à intervenir comme juge d’appui (si toutefois le droit du siège connaît l’institution du juge d’appui).
Il est déconseillé d’accepter une clause d’arbitrage fixant son siège dans un état dont le droit ne connaît pas l’institution du juge d’appui, sauf à convenir d’un arbitrage institutionnel. L’institution d’arbitrage jouera alors le rôle du juge d’appui. Cette fonction de l’institution d’arbitrage est un des paramètres pouvant faire préférer l’arbitrage institutionnel à l’arbitrage ad hoc.
Dans les pays où le droit de l’arbitrage connaît l’institution du juge d’appui et donne à ce juge l’ensemble des prérogatives utiles à sa fonction, le choix de l’arbitrage institutionnel, par nature plus onéreux, s’impose avec moins d’évidence, le juge d’appui jouant alors le rôle d’une institution d’arbitrage gratuite.
Opter pour l’arbitrage international comme moyen de résolution des litiges est donc un choix valable, mais prendre les meilleures options au stade de la négociation de la clause d’arbitrage reste complexe, et consulter des spécialistes en amont éviterait aux parties au contrat bien des déboires.